La controverse existe depuis plusieurs années. Elle trouve sa source dans la définition de « l’entreprise » contenue dans le code de droit économique.

L’article I.1, 1° dispose que :

« sauf disposition contraire, pour l’application du présent code, on entend par :

1° entreprise : chacune des organisations suivantes :

a) toute personne physique qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant (…) ».

Certains considéraient que « pour que [le dirigeant d’entreprise] soit qualifié d’entreprise au sens de l’article I.1, 1°, a), du CDE, il faut mais il suffit, (…), que l’activité soit exercée à titre indépendant (par opposition à l’activité exercée sous les liens d’un contrat de travail) et dans le cadre d’une profession, laquelle est caractérisée d’une part, par la poursuite d’un but de lucre dans le chef de la personne physique et d’autre part, par une certaine régularité, une “durabilité”».

L’exposé des motifs de la loi du 15 avril 2018 portant réforme du droit des entreprises allait clairement en ce sens et qualifiait d’entreprises « les personnes physiques qui travaillent comme commerçant, artisan, personne exerçant une profession libérale ou administrateur de société ».

Pour d’autres, le dirigeant d’entreprise ne pouvait pas être qualifié d’entreprise parce qu’ :

  • Il n’exerce aucune activité professionnelle propre. Il agit exclusivement par l’intermédiaire de sa société ;
  • Il n’est pas tenu de s’immatriculer à la BCE ;
  • Il ne doit pas tenir une comptabilité propre.

La jurisprudence a longuement hésité consacrant tour à tour l’une ou l’autre thèse.

Trois arrêts récents de la Cour de cassation tranchent la question ou, à tout le moins, dessinent les contours de la réponse.

  1. L’arrêt du 18 mars 2022[1]

La Cour de cassation précise qu’«une personne physique n’est une entreprise, (…), que lorsqu’elle constitue une organisation consistant en un agencement de moyens matériels, financiers ou humains en vue de l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant.

Il s’ensuit que le gérant ou l’administrateur d’une société qui exerce son mandat en dehors de toute organisation propre n’est pas une entreprise».

  1. L’arrêt du 9 février 2023[2]

L’arrêt relève que malgré le fait que le dirigeant exerçait son activité de gérant « à titre indépendant » et « dans un but de lucre » (ses avertissements-extraits de rôle indiquaient qu’il percevait une rémunération de dirigeant d’entreprise) et que l’exercice de son mandat constituait une véritable « activité professionnelle », il fallait en outre qu’il exerce son mandat dans le cadre d’une organisation propre indépendante de celle de l’entreprise.

  1. L’arrêt du 23 novembre 2023[3]

La Cour réitère et précise que le dirigeant ne peut être qualifié d’entreprise que s’il démontre qu’il constitue une organisation composée d’un ensemble de moyens matériels, financiers ou humains qui lui sont propres et qu’il a agencés pour développer une activité professionnelle indépendante.

La Cour de cassation a donc tranché : un dirigeant d’entreprise n’est pas a priori une entreprise en soi.

Toutefois, il pourrait être qualifié comme tel s’il démontre qu’outre les conditions consistant en l’exercice d’une activité professionnelle à titre indépendant, il dispose d’une organisation propre, constituée de moyens propres, distincts de ceux mis à disposition par sa société.

La question est donc « Est-il une entreprise indépendante dont l’activité consiste en diriger une ou des entreprises? ».

Cela relèvera du cas par cas, de l’analyse concrète de la situation et de la somme d’indices qui tendent à le démontrer.

Il conviendra de démontrer l’existence d’une organisation composée d’un ensemble de moyens matériels (un GSM personnel utilisé pour remplir sa fonction, un ordinateur personnel, un véhicule personnel, un bureau à la maison, une comptabilité propre qui reprendra ses rémunérations de dirigeant déduction faite des frais liés à sa fonction,…), financiers(le fait de contracter en qualité de caution, de codébiteur de l’entreprise ou à titre personnel pour apporter des ressources à l’entreprise,…) et/ou humains (fournir  des agréments, qualifications ou accès à la profession nécessaires à l’exercice d’une profession réglementée, …).

La question n’est pas purement théorique car la réponse à cette question détermine la possibilité pour le dirigeant de bénéficier des nouvelles procédures de restructuration et d’insolvabilité et notamment de l’effacement des dettes.

A défaut d’être considéré comme une entreprise, le dirigeant devra se tourner vers le règlement collectif de dettes. Lequel aboutirait également à l’effacement des dettes mais au terme d’une longue épreuve financière et émotionnelle.

[1] Cass., 18 mars 2022, R.G. n° C.21.0006.F.

[2] Cass., 9 février 2023, R.G. n° C.22.0264.F.

[3] Cass., 23 novembre 2023, R.G. n° C.23.0023.N.